TOUT UNE HISTOIRE .... LE RABODEAU !
[Républicain Lorrain du 4 mai 1977]
Une curiosité touristique dans les Vosges
Le petit chemin de fer à vapeur du Rabodeau
Les automobilistes qui empruntaient la RN 59, entre Raon-l’Etape et Saint-Dié pouvaient à Etival-Clairefontaine, avoir la surprise d’apercevoir, au bord de la route, une locomotive à vapeur. Sans doute ignoraient-ils qu’il s’agissait de la dernière fonctionnant en Lorraine, et l’on peut presque dire en France, puisque par ailleurs, à Gray, seules trois locomotives assurent sporadiquement, et pour quelques mois encore, les derniers trains à vapeur en service commercial.
[Républicain Lorrain du 12 août 1975] Le chemin de fer d’Etival à Senones a cessé définitivement toute exploitation ferroviaire le 30 juin 1975. Ce secondaire comptait parmi les très rares réseaux qui ont subsisté jusqu’à nos jours. Progressivement, la concurrence routière a eu raison de nos chemins de fer d’intérêt local qui avaient connu, pour la plupart, leurs derniers soubresauts durant la Seconde Guerre mondiale, alors que la pénurie de carburant contraignait à prendre le train. Les petits tortillards qui s’époumonaient par monts et par vaux étaient parfaitement intégrés à la vie locale de nos campagnes et plus d’un nostalgique a regretté leur disparition en tant que témoins de toute une époque.
Le chemin de fer a de nombreux adeptes, en-dehors même du monde ferroviaire proprement dit, et parmi ces amateurs il en est de nombreux qui sont très attachés à la locomotive à vapeur. Comment peut-on aimer de tels monstres, sales, bruyants et inconfortables pour leurs équipes de conduite ? Il s’agit d’un mythe auquel ne sont pas restés insensibles musiciens et poètes tels Arthur Honegger avec sa symphonie à la gloire des "Pacific" et Emile Zola avec sa "Bête humaine" pour ne citer qu’eux. Mais au-delà du mythe il y a, pour les vrais amateurs, le besoin d’un contact réel et matériel avec la machine considérée comme un être vivant qui souffle, crache, peine, s’emballe…
Afin de conserver les rares vestiges de nos réseaux secondaires et pour éviter qu’ils ne disparaissent à jamais, des associations sans but lucratif se sont constituées s’assignant pour mission l’acquisition ou la prise en garde, la restauration et la conservation des matériels ferroviaires anciens, et leur mise en valeur par l’exploitation de chemins de fer touristiques. Du Nord au Midi, une quinzaine d’associations se sont ainsi créées parmi lesquelles nous nous hasarderons à citer, sans prétention d’être exhaustif : en Lorraine, le chemin de fer forestier d’Abreschviller et le chemin de fer touristique de la vallée du Rabodeau (pour mémoire), en Alsace, le chemin de fer folklorique de Rosheim-Ottrott et le chemin de fer touristique et historique de la vallée de la Doller.
Une diversité insoupçonnée
Leur diversité est insoupçonnée, tant par la variété des sites, que par les réseaux eux-mêmes qui vont de la voie de 60 à la voie normale en passant par celles de 70 et d’un mètre (écartement entre rails). D’autres associations préparent quelque chose, mais l’on peut dire que le chemin est généralement long entre leur naissance et la mise sur rails du premier train ; en effet, la plupart n’investissent qu’à partir des deniers de leurs membres et fonctionnement avec la main-d’œuvre apportée bénévolement par eux. On imagine le degré d’enthousiasme qui peut animer ces mordus au point d’utiliser la quasi-totalité de leurs loisirs au lancement et au fonctionnement d’entreprises qui requièrent énormément de compétences et de dévouement.
L’Association lorraine d’exploitation et de modélisme ferroviaire fêtera en 1976 le 10e anniversaire de sa création. Caractérisée par des activités uniquement modélistes à son démarrage, ses membres ont, à mi-parcours, commencé à s’intéresser au chemin de fer réel. Partie d’un recrutement purement local dans la région de Thionville, cette association a vu ensuite croître ses membres à partir du Bassin de Briey, de la région messine puis de la Lorraine tout entière.
La fameuse exposition de Metz
Côté modélisme, une exposition internationale qui avait été organisée en 1972 à Metz avait connu un grand succès. Les membres ont par ailleurs entrepris l’édification d’un réseau su siège social en gare d’Hagondange ; la complexité et la diversité dans cette réalisation font qu’elle se poursuit actuellement.
On ne saurait passer sous silence une initiative de l’ALEMF qui allait ensuite très largement faire école ; il s’agit du baptême de la locomotive BB 15 006 qui arbore le blason de la ville de Metz depuis juin 1973. Côté chemin de fer en grandeur réelle, l’association a acquis ou pris en garde quatre locomotives à vapeur dont une, complètement restaurée, est actuellement en fonctionnement.
Les membres de l’ALEMF appartiennent à tous les milieux professionnels, dont évidemment des cheminots mais aussi des agriculteurs, des commerçants, artisans, professions libérales, depuis l’ouvrier qualifié jusqu’au cadre supérieur. La diversité des compétences trouve un champ d’application très vaste dans l’entreprise ferroviaire qui catalyse toutes les bonnes volontés dans le plus pur esprit de camaraderie.
Le Rabodeau est un affluent de la Meurthe sur le versant lorrain du Massif Vosgien. Le confluent se situe à Etival-Clairefontaine, localité à mi-chemin entre Raon-l’Etape et Saint-Dié. Depuis Etival, une ligne de chemin de fer départementale s’embranchait sur la ligne SNCF Lunéville – Saint-Dié, remontant la vallée du Rabodeau via Moyenmoutier jusqu’à Senones. Nous l’avons dit plus haut, la compagnie concessionnaire a cessé l’exploitation ferroviaire le 30 juin dernier, tout en conservant une activité de transport routier.
Une infrastructure disponible s’offrait donc à l’ALEMF qui, plusieurs mois avant la fermeture, avait pris divers contacts avec la compagnie et l’autorité de tutelle en la personne de M. le Préfet des Vosges. La SNCF n’acceptant pas de circulations étrangères sur ses lignes, il faut bien admettre que les possibilités de localisation de chemin de fer touristique sont en réalité extrêmement restreintes, c’est pourquoi l’association avait polarisé toute son attention sur celle-ci.
Un intérêt indéniable
L’accueil très favorable accordé au projet, tant par la Compagnie que par les élus locaux, la Préfecture et le Conseil Général des Vosges, permit un aboutissement positif. Le hasard fait parfois bien les choses puisque la vallée du Rabodeau présente un intérêt indéniable au plan touristique. Hormis le charme et la fraîcheur propres à toutes les vallées vosgiennes, celle-ci présente des atouts historiques certains.
Senones, on le sait, est l’ancienne capitale de la petite principauté de Salm, dernière parcelle du territoire lorrain à avoir été rattachée à la France. La ville possède une très belle place dont les édifices imposants sont de la plus belle facture. La relève de la garde en costume d’époque est l’une des attractions prisées des visiteurs pendant la saison touristique. Moyenmoutier présente un très bel édifice abbatial et Etival-Clairefontaine une église intéressante.
Le climat tonifiant de cette région de demi-montagne lui vaut l’accueil de nombreuses colonies de vacances. Les environs présentent des sites agréables à la promenade ; en amont de la vallée, on peut mentionner le lac de la Maix qui est resté très sauvage. La ligne de chemin de fer longe le Rabodeau sur 9 km. Le parcours très boisé est essentiellement champêtre avec quelques prairies où paissent des vaches et, par endroits, de vastes échancrures qui offrent une vue sur le versant opposé. Les voitures à plates-formes ouvertes du train permettent un contact intime avec la nature et le paysage qui ne défile qu’à 35 ou 40 km à l’heure !